• Scolarisation des enfants déficients auditifs au Niger : et si on essayait de faire mieux ?

    La scolarisation des élèves handicapés constitue une priorité nationale. Dans ce domaine, des progrès considérables ont été accomplis depuis plusieurs années. Pour autant, beaucoup reste à faire pour ajuster au mieux les besoins de ces élèves avec leur environnement scolaire.
    L’éducation des enfants en situation de handicap a toujours exigé et nécessite encore, de par les pays du monde, un investissement humain et matériel conséquent.

    On s’accorde tous à dire que le Niger n’a pas les moyens de sa politique dans ce domaine ; mais y joue t-il aussi suffisamment la politique de ses moyens ?
    Notre souhait est de contribuer à l’amélioration des conditions actuelles d’éducation et d’enseignement des élèves sourds, sans pour autant, pour une fois, nous apitoyer sur notre sort de faisant partie des pays les plus pauvre de la planète.

    Il serait certes illusoire d’attendre de l’Etat du Niger la mise à disposition de moyens qu’il faut (formation pluriprofessionnelle des intervenants, matériels spécifiques de rééducation et d’accompagnement…etc.) pour afin commencer à réagir. Pour ce faire l’intervention est axée sur un cas précis : La langue des signes utilisée dans les écoles pour sourds du Niger.
    Un peu d’histoire car tout en a une histoire !

    Au sein des instituts pour jeunes sourds de l’Afrique de l’Ouest, la langue des signes véhiculée est la langue des signes américaine : American Sign Language (ASL). L’utilisation de l’ASL peut paraître étonnante pour apprendre le français dans des sociétés africaines où l’anglais est quasi inexistant.

    En Afrique Occidentale francophone et anglophone, l’ASL fut introduite dans les années soixante-dix par un pasteur américain du nom de FOSTER Andrew. Ce missionnaire a eu une action très importante pour la sensibilisation aux problèmes de la surdité et pour la création des premières écoles pour enfants sourds. Sa présence dans cette région, notamment au Nigeria, a permis à des professionnels africains de faire des formations aux Etats Unis. M. FOSTER a lui-même formé des disciples venus d’autres pays de la région.

    Certains de ces précurseurs africains de l’éducation des Sourds ont à leur tour fondé des écoles dans leurs pays et formé sur le terrain leurs assistants et aussi des enseignants d’autres pays (qui venaient de s’y lancer). Ce qui explique la présence de l’ASL en Afrique de l’Ouest, y compris dans les régions francophones. Dans le même temps, la Langue des Signes Française (LSF) était restée interdite pour les sourds dans les établissements scolaires français.

    Au Niger, les premiers enseignants des écoles pour sourds étaient formés (aussi) au Nigéria dans les années 80. Puis, à partir de 1993, avec l’appui du PRAHN (Projet de Réhabilitation des Aveugles du Niger), FEU Pasteur Abel KAFANDO, ancien directeur Général du Centre d’Education et de Formation Intégrée pour Sourds et malentendants de Ouagadougou (CEFISE du Burkina Faso) continuait les formations au Burkina et/ou au Niger et ce jusqu’en octobre 2006, année à laquelle où il fût rappelé à Dieu. PAIX A SON AME.
    Feu KAFANDO fût mon premier professeur en matière d’éducation de Sourds.

    A part ses (ces) formations, très souvent, aucune autre complémentaire et/ou approfondie n’a été apportée aux enseignants pendant que sous d’autres cieux des avancées pédagogiques, techniques et scientifiques ne cessaient d’enrichir et de modifier les méthodes d’apprentissage de la communication.

    Dans les écoles pour sourds du Niger, les signes américains étaient souvent « adaptés » en français. Cette « adaptation » consistait à utiliser l’initial du mot en français tout en conservant les paramètres du signe d’origine c'est-à-dire issue de l’ASL. Les enseignants complétaient aussi le lexique manquant ou inexistant en ASL -différences culturelles obligent !- par des signes iconiques largement utilisés pour les échanges généralement très concrets. , grâce notamment à l’apport des jeunes élèves sourds ou ceux dont le dépistage a été tardif.

    Ce pidgin gestuel se diffusa grâce aux professionnels de la surdité. Cette « adaptation » de l’ASL est en réalité une langue signée sur une structure parlée basée sur la grammaire du français. Il consiste à ponctuer son discours en français oral, de la langue des signes, (ou à signer sans nécessairement émettre de voix) sans tenir compte des règles et du fonctionnement de la langue des signes, en adoptant la syntaxe du français.

    Précisons que la langue des signes est une langue à part entière avec sa propre structure grammaticale différente du français oral et écrit…d’où une difficulté supplémentaire rajoutée à l’apprentissage d’une langue française qui reste à priori difficile d’accès pour des enfants sourds de langue maternelle outre que le français.

    Le français signé (qui n’est qu’une « méthode » pédagogique pas une langue) basée sur une langue orale que l’enfant sourd ne maîtrise pas pose un problème linguistique majeur : les deux langues (français et Langue de signes) ayant des structures très différentes se trouvent ici volontairement superposées.

    L’ambiguïté est multiple :

    L’utilisation de l’ASL est basée sur une grammaire non adaptée à la structure grammaticale de la langue française. La grammaire du français est utilisée alors que nos langues nationales sont multiples et non francophones. Ici se pose la question du transfert de la langue des signes au sein du milieu familial.
    L’inadaptation de cette pratique entraîne un non respect de la pensée sourde et une difficulté à communiquer avec l’entourage familial par ce biais. De plus, plus l’enfant est jeune et peu compétent en langue de signes et en français, plus cette pratique risque de perturber ses apprentissages linguistiques dans les deux langues.

    L’observation de ce système d’apprentissage montre que la richesse et la correction de la langue proposée à l’élève subissent des altérations du fait de l’énergie dépensée pour utiliser et contrôler simultanément le français et les signes.
    La langue des signes ASL importée et transposée systématiquement ou « adaptée » comme telle ne semble pas être le véhicule culturel adéquat parce qu’il ne reflète pas justement la pensée nigérienne.
    A titre d’exemples, les traits sémantiques de l’animal de la brousse signé par un Américain ne se superposent pas à ceux de l’animal de la brousse signé par un Nigérien.
    De plus, certains signes en ASL ont une signification autre que celle d’un homosigne déjà connu des élèves (ex : commencer/démarrer ; six/trois ; oublier/sombre, etc.) ou n’ont pas de lien sémantique du fait de différences culturelles. Les pronoms personnels par exemple (je, nous, vous.) ; le système de comptage…… la liste est longue. Ce qui entraînait des réponses parfois surprenantes que les enseignants ne comprenaient pas forcement.

    Le Sourd nigérien ressent l’impact de ces ambiguïtés qui ne permettent pas le relais avec l’entourage immédiat. Ce qui nous a interpellés, c’est que nous donnons souvent des signes qui ne tiennent pas toujours compte des visions culturelles et environnementales des élèves.

    Cependant, nous reconnaissons que le français signé n’est qu’une « une méthode de travail ». Elle a fait ses preuves. On connaît les quelques avantages qu’elle présente : avec un minimum d’initiative et de don de soi, mécaniquement, en suivant les manuels, n’importe quel instituteur peut l’administrer.
    Nous avons toujours hésité à divulguer les inconvénients parce que critiquer ce que l’on ne peut ou ne sait remplacer, c’est dénigrer et que dénigrer est toujours une position dangereuse. Ce système de formation des enseignants mettait en avant l’uniformisation des signes en Afrique par le biais de l’ASL. Ce système ne tenait absolument pas compte des diversités culturelles et linguistiques des pays. Ce qui commençait à poser question dans plusieurs instituts francophones pour sourds.

    L’idée soutenue de fait était que, plus les personnes sourdes maîtrisaient une langue de signes commune, plus elles auraient de capacités à s’intégrer facilement dans d’autres communautés étrangères sourdes (notamment américaine) ou de pouvoir participer sans barrière linguistique à des congrès internationaux pour sourds.

    Il y a plus d’une vingtaine d’années, Suzanne Borel-Maisonny, revenant de l’étranger où elle avait assisté à un congrès mondial des sourds disait « combien les entendants se sentaient « infirmes » parmi les sourds qui, eux se comprenaient parfaitement et communiquaient aisément entre eux malgré la diversité de leur pays d’origine ». Il y avait lieu de se demander alors si les différences en langue de signes constituaient un réel obstacle pour les personnes sourdes une fois à l’étranger. De plus aux congrès internationaux, il y a souvent autant d’interprètes en langue de signes que de délégations participantes…. en plus des interprètes officiels.  Il a été démontré aussi que des personnes sourdes, d’origine et de culture différentes n’ont pas les mêmes difficultés de communication et surtout passent moins de temps pour se comprendre que de personnes entendantes de langues orales, d'origine et de culture différentes. Exemple : Un!
    chinois et un français.
    Y aurait-il une raison à cela ? OUI ! Plusieurs signes restent des signes naturels, certains sont iconiques ou imagés. Aussi l'expression faciale, la posture, le contexte, le sujet de conversation, l'utilisation de l'espace... contribuent de manière significative à lever d’éventuelles ambigüités. Mais tout cela, nous le savions déjà sauf que la question était malheureusement taboue….…

    Ainsi plus qu’une aide matérielle, c’est souvent une aide en matière de formation que les enseignants ont besoin.

    Du fait de ces observations, l’idée de développer de nouveaux signes propres à la culture et l’environnement se développe. La nécessité de faire évoluer la langue de signes est plus qu’indispensable, notamment pour en compléter le lexique, et pour le besoin d’harmoniser les signes utilisés dans toutes nos écoles.
    C’est ainsi qu’en avril 2004, l’Association des Sourds (ASN), avec l’appui financier de la coopération suisse au Niger, avait organisé une formation en Langue de Signes Française (LSF) -la toute première au Niger. L’objectif était de faire découvrir aux enseignants cette langue qui comporte beaucoup plus de similitudes avec les signes utilisés par les sourds adultes (analphabètes s’il vous plaît). Notre but n’était pas de promouvoir l’ASL ou la LSF mais de « décoincer intellectuellement» un temps soit peu les collègues intervenants auprès des élèves sourds.
    La LSF a ainsi fait son entrée au Niger en 2000. Une première formation à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM) de Lyon nous a permis d’apprendre les bases de cette langue ; bases qui ont été, malgré tout, suffisantes pour être comparées à l’ASL. La langue des signes des personnes sourdes au Niger était malheureusement très peu étudiée par conséquent peu prise en compte dans le cadre de l’enseignement des jeunes enfants.

    En août 2006, sous l’égide de l’UNICEF, une première tentative d’harmonisation des langues de signes a été initiée. Les documents utilisés étaient des dictionnaires d’ASL, de (LSF) et un répertoire de signes locaux. La participation de représentants régionaux de l’Association des Sourds (ASN) est aussi était un fait marquant à mentionner. L’objectif était de mettre à la disposition des écoles pour sourds du Niger un guide pédagogique en langue de signes. Cette rencontre a amorcé un tournant décisif quant à l’évolution possible de la langue des signes au Niger.
    Cette tentative faite en ce sens reste inédite mais n’a  pas de caractère scientifique. Elle nécessite d’être poursuivie et améliorée.

    Notre objectif est que la langue des signes utilisée par les personnes sourdes au Niger soit étudiée et reconnue comme langue d’étude et de culture. Qu’elle soit enrichie par d’autres signes que les Sourds eux-mêmes feront émerger pour permettre au tout jeune élève déficient auditif une expression diversifiée. Qu’importe l’origine de ces signes (américaine ou française ou autre), pourvu qu’ils évoquent du sens à nos élèves, facilitant ainsi notre médiation pédagogique.

    Nous restons confiants quant à l’avenir, car malgré tous les obstacles matériels et moraux, force est de remarquer que la bonne volonté, l’engagement et la créativité dont les enseignants font preuve commencent à donner de résultats probants.

    Les progrès sont entrain d’être officiellement reconnus ; en témoignent le prix d’encouragement « MAKARANTA » attribué en 2004 à l’école pour sourds de Niamey par une ONG allemande et « Le stylo d’excellence 2009 » remis par le ministre de l’éducation nationale au directeur de l’école pour sourds HASSANE BANA BA de Niamey en reconnaissance de la réussite à 100% de ses candidats aux examens du CFEPD.

    Nous continuons d’espérer que nos responsables hiérarchiques nous soutiennent avec conscience et efficacité.

    Mamoudou HAROUNA
    En stage à l’Institut National de Jeunes Sourds de Paris.
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :