• Réflexion sur la sécurité alimentaire au Sahel : il est minuit moins cinq pour le Sahel

    Alors que le spectre d'une crise alimentaire menace l'Afrique de l'Ouest, Olivier De Schutter, le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation, demande pourquoi nous sommes toujours incapables d'agir préventivement face aux famines qui se répètent...

    La sécheresse et la famine ne sont pas des événements extrêmes. Ni des anomalies. Elles ne sont que la partie émergée de l'iceberg d'un système alimentaire mondial fondé sur l'inégalité, les déséquilibres et - en définitive - la fragilité. Et elles sont le résultat régulier d'un climat de plus en plus hostile et problématique pour la production alimentaire sur d'immenses portions du monde en développement. Pour la troisième fois en sept ans, la région ouest-africaine du Sahel est confrontée à une combinaison explosive de sécheresse, mauvaises récoltes et flambée des prix alimentaires. Six millions de Nigériens, 2,9 millions de Maliens et 700 000 Mauritaniens sont aujourd'hui sérieusement en danger.

    Nous devons réagir immédiatement pour éviter une crise alimentaire et nutritionnelle dévastatrice. Mais notre réaction doit en même temps redéfinir le vocabulaire d'une crise alimentaire. C'est notre système alimentaire mondial qui est en crise. La famine de l'an dernier dans la Corne de l'Afrique et les malheurs actuels au Sahel ne sont que les fissures les plus visibles d'un système qui exhibe aujourd'hui ses limites. Ces crises régionales ne sont pas, en soi, des événements extrêmes: elles ont une dimension systémique.

    Au-delà de la sémantique, c'est là une distinction cruciale. Tant que nous les considérerons comme des événements extrêmes et inattendus, nous ne reconnaîtrons pas la régularité et la prévisibilité de la faim. Par là, nous nous interdisons de reconnaître les déficits qui affectent le système alimentaire lui-même. Cela signifie que nous ne nous préparons pas à affronter une famine persistante dans le développement international et la politique humanitaire. Et cela signifie que nous attendons que des gens meurent de faim avant de nous mobiliser pour le changement.

    La pire crise de famine en cent ans a frappé le Kenya, l'Éthiopie, la Somalie et Djibouti l'année dernière, touchant 13 millions de personnes et prenant des milliers de vies. L'aide internationale est parvenue aux régions concernées à partir de mi-2011, quand les déplacements de masse, la malnutrition et la mort s'étaient déjà installés. Et pourtant, selon un rapport accablant d'Oxfam et de Save the Children, des systèmes d'alerte précoce avaient déjà signalé la crise en août 2010. Pour qu'ils réagissent, il a fallu attendre que les décideurs soient confrontés à la réalité des conséquences des récoltes perdues et des élevages décimés. Il a fallu que le mot "famine" soit prononcé, alors que celle-ci avait été prédite des mois plus tôt, son arrivée parfaitement anticipée.

    Et dans la crise qui s'ébauche au Sahel aujourd'hui, où sont les responsabilités? En partie, dans les déficits de la gouvernance   locale: les gouvernements de la Corne de l'Afrique - avec l'aide des agences internationales d'aide et de développement - auraient dû dresser à l'avance des plans anti-sécheresse complets et auraient dû tirer plus tôt la sonnette d'alarme. Les signes sont déjà plus prometteurs au Sahel. À l'exception du Sénégal et du Burkina Faso, tous les gouvernements concernés ont rapidement déclaré l'urgence, conçu des plans et demandé l'aide internationale.

    Mais la communauté internationale doit aussi s'assurer que ses outils de réponse à la crise sont adaptés. L'aide alimentaire est souvent anti-cyclique : les donateurs se montrent plus généreux quand les prix sont bas grâce à de bonnes récoltes, c'est-à-dire quand les besoins sont moindres. Il faudrait prévoir des réserves alimentaires régionales permanentes pour améliorer l'accès à des stocks abordables dès que les besoins se font sentir. Ceci devrait permettre de mettre en place des stocks d'urgence dans les régions à risque, de sorte que les agences humanitaires aient accès à ces réserves en deçà des prix du marché là où des achats locaux s'avèrent impossibles.

    Mais le problème ne se limite pas aux défauts de gouvernance en Afrique, ni aux modalités de fourniture de l'aide alimentaire. Une question de principe est posée. Voilà des décennies que la question de savoir comment nourrir le monde est posée à l'envers : il faudrait plutôt demander comment le monde peut se nourrir. Dans quantité de pays pauvres, les investissements agricoles se sont concentrés sur un éventail restreint de cultures d'exportation, et trop peu de choses ont été comparativement faites pour soutenir les petits agriculteurs dont les productions servent à alimenter leurs communautés locales. Si nous soutenions ces paysans pauvres, nous pourrions leur permettre de se sortir de la pauvreté, et nous pourrions permettre à la production alimentaire locale de répondre aux besoins locaux.

    Différents systèmes agricoles, l'agroforesterie et des réservoirs de captage des eaux de pluie sont cruellement nécessaires dans les régions sujettes à la sécheresse comme le Sahel. Ceci demande un véritable engagement envers les systèmes alimentaires locaux, et exige de reconnaître que le commerce et l'aide ne peuvent apporter toutes les réponses - surtout quand les prix internationaux des céréales sont en hausse, comme ce fut le cas depuis quatre ans jusqu'à leur baisse récente. La solution est dès lors double : nous devons correctement prévoir les crises alimentaires qui apparaissent au sein de notre système alimentaire dysfonctionnel, et nous devons enfin reconnaître à quel point il est à réformer. Les populations les plus vulnérables du monde ne recevront l'aide à court terme et le soutien à long terme dont elles ont besoin que lorsque nous accepterons, modestement, de reconnaître que nous nous sommes trompés.

    Source : http://www.lesahel.org

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