• Niger : les maux de la faim

    Afrique | Posté le 24-07-2010 |

    Niger : les maux de la faim Le pas est fébrile, le regard triste, ailleurs, comme obnubilé par un seul et même problème. Nanou Souleymane Aboumat le concède : «Tous les matins, je me demande ce que ma famille va manger. Notre grenier est vide, mon mari est parti chercher du travail en ville mais cela ne change rien.» Debout à l’ombre d’un grand arbre, la jeune mère de 19 ans fait la queue parmi des centaines de femmes.

    Le temps d’une journée, la cour sablonneuse de l’école de Guirari, le village de cultivateurs ou elle réside à 80 kilomètres au nord de Zinder, a été transformée en lieu de rationnement. Les humanitaires y distribuent de la farine enrichie et de l’huile pour un mois. Une aubaine mais un bien maigre palliatif face au manque, de plus en plus pressant.

    Certes, le Niger connaît une malnutrition chronique, a tel point qu’en 1974, puis en 1984 et en 2005, le pays avait été affecté par de graves crises alimentaires. Mais de nombreux observateurs s’accordent à dire que la situation actuelle est catastrophique. Cette année, l’insécurité alimentaire est qualifiée de «critique à extrême». Selon une enquête diligentée par le gouvernement, près de la moitié de la population souffre actuellement de malnutrition, soit 7 millions de personnes sur les 15 millions d’habitants du Niger. Parmi eux, 2,6 millions sont déjà au plus mal, avec moins de dix jours de réserve alimentaire. Alors que la période de soudure annuelle - entre deux récoltes - devrait cette année durer six mois au lieu des trois habituels.

    «A cause d’une faible pluviométrie en 2009, les populations dépendantes en majorité d’activités agropastorales n’ont pas suffisamment à manger», explique Midou Baba Youssifi, le directeur des opérations techniques au sein de l’ONG Karkara. Le déficit de production est estimé à 30%. Quant aux pâturages, ils sont quasiment réduits à néant.

    Même la réserve de Gadabedji et ses 200 km2, dans la région de Maradi (sud du pays), connue pour être le grenier fourrager du Niger, a l’herbe rase. C’est là que Sani Tambari, un pasteur, et les 36 membres de sa famille sont venus s’établir après une transhumance de deux mois. «On vient de la région de Gouré, à 200 kilomètres. Je pensais pouvoir trouver ici de quoi nourrir mes bêtes mais vous voyez : j’ai tout perdu», lâche-t-il. Derrière le grand chèche noir qui recouvre son visage émacié, il fixe le sol ou gît un cadavre de chèvre en décomposition. «Plus des deux tiers de mon troupeau est mort. J’observe, impuissant. Rien qu’hier, il y a encore une vache qui est partie.»



    Crânes de chameaux. Sur les collines clairsemées d’arbustes des abords de la réserve, les carcasses de bêtes se comptent par centaines. Çà et là, au détour des huttes de fortune, des ossements de chèvres, de moutons, d’ânes et parfois même des crânes de chameaux, pourtant considérés comme les animaux les plus résistants. Dans les maigres points d’eau boueux, remplis par les deux seules pluies de la saison, des vaches squelettiques viennent s’abreuver sous l’œil hagard des éleveurs. «C’est un cercle vicieux, se désole Assadeck Alkabouss, de l’Association pour la redynamisation de l’élevage au Niger (Aren). Pour avoir de quoi se nourrir, les gens sont contraints de brader les bêtes fatiguées qu’il leur reste. Une vache qui se négocie en temps normal autour de 200 000 francs CFA [305 euros] se vend au mieux 15 000 francs [23 euros], explique-t-il. Comment voulez-vous que les gens vivent ? Ils ne connaissent que l’élevage. Leur vie est en danger.»

    Premières victimes : les enfants. A l’hôpital de Madarounfa, situé à une trentaine de kilomètres de Maradi, le Centre de récupération nutritionnelle intensif (Creni) affiche complet. Aux urgences, la trentaine de lit est occupée par de jeunes mères et leurs bambins chétifs, au visage vieilli, placés sous sonde.

    Les cas critiques se multiplient. Déjà supérieure aux seuils d’alerte de l’OMS (10%) en 2009, la malnutrition aiguë a franchi le seuil d’urgence en juin avec près de 17% d’enfants touchés. «On a de plus en plus d’admissions, confirme le docteur Assoumana Missou. Sur les six premiers mois, on a reçu deux fois plus d’enfants que l’année dernière à la même période. Les gens viennent ici en dernier recours, certains enfants ne se nourrissent plus depuis trois semaines. On arrive a en sauver la plupart, mais il y a tous ceux qu’on ne voit pas et qui perdent la vie sans qu’on le sache.»

    Spéculation. Loin de nier la réalité des difficultés, comme ce fut le cas en 2005 sous la présidence de Mamadou Tandja, les autorités parlent désormais de «crise». Depuis deux mois, des distributions gratuites de vivres ont été organisées et des ventes à prix modérés ont eu lieu dans les localités les plus reculées. Par la voix de son porte-parole, Mahaman Lawali Dan Dah, la junte au pouvoir a également indiqué que le pays célébrerait le cinquantenaire de l’indépendance, le 3 août, sans activités festives, pour donner priorité au combat contre la faim. L’obsession alimentaire est d’ailleurs telle que même le plus gros opérateur téléphonique du Niger a lancé une campagne publicitaire : l’achat de 750 francs CFA de crédit permet de gagner un sac de mil de 50 kilos. Il n’empêche, si la ressource n’a pas totalement disparue des étals des marchés, elle reste inaccessible pour la grande majorité de la population, soumise qui plus est en temps de pénurie à une spéculation sur les prix.

    «On a mis en place des solutions d’urgence, mais le problème est plus profond, estime Eric-Alain Ategbo, chef du programme nutrition au bureau de l’Unicef Niger. Bien sur, il y a la question des pluies, mais la qualité du système de santé doit aussi être améliorée. Et surtout, le pays a une fécondité extrêmement élevée.» Avec une moyenne de sept enfants par femme, le Niger a le taux le plus fort au monde.

    Comment, dans ce contexte, nourrir une population croissante quand les terres cultivables et fourragères diminuent suite aux sécheresses successives ? Pas évident. D’autant que «la question de la natalité reste taboue, confie une humanitaire sous couvert de l’anonymat. Les gens préfèrent souvent imputer le problème au changement climatique.»

    Source : http://nouvelles.abidjantv.net/

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