• Le patrimoine archéologique du Niger disparaît dans l’indifférence générale

    Au Niger, le pillage du patrimoine archéologique a lieu dans l’indifférence générale. Tout près du Petit marché de Niamey, le touriste ou le collectionneur d’art ancien trouve en vente libre des objets provenant du pillage de tombes antiques ou de sites archéologiques de l’Aïr et de la vallée moyenne du fleuve. Si rien n’est fait pour stopper l’hémorragie, une partie essentielle du patrimoine historique de notre pays risque de disparaître à jamais.

    « Combien pour cette poterie ancienne ? »

    Le vendeur regarde le touriste étranger, dubitatif, comme s’il évaluait l’épaisseur de son portefeuille. « 300 000 F CFA », répond-il d’un air rusé, les yeux caressant la magnifique tête en terre cuite datant de quelques centaines d’années. « C’est une belle pièce, que des paysans du département de Téra ont trouvé dans leur champ et m’ont apporté récemment, explique l’antiquaire, montrant le plancher de sa boutique où des dizaines et des dizaines d’objets archéologiques – certains âgés de 10 000 ans – attendent le client.

    Même scénario tout à côté, dans la dizaine de boutiques attenantes situées en face du Petit marché. Par terre, sur des tables ou accroché au mur, pointes de flèches datant du néolithique, poteries funéraires finement ciselées il y a plusieurs siècles, harpons et hameçons de pierre ou d’os, morceaux de quartz et silex taillés par des mains préhistoriques, crayons en pierre, bracelets anciens, etc. sont en vente libre. Manifestement, aucun de ces boutiquiers du passé ne possède la moindre autorisation pour dilapider ainsi le patrimoine archéologique national.

    « Ce ne sont pas des copies, bien qu’on puisse parfois en trouver, mais des objets véritablement anciens, soupire Oumarou Amadou Idé, directeur de l’Institut de recherches en sciences humaines (IRSH) et chef du département d’Art et d’Archéologie. Je me suis arrêté plusieurs fois pour observer ces antiquaires et je peux vous certifier que ce sont de véritables objets archéologiques issus du pillage. Pourtant, la loi nigérienne interdit formellement la vente d’objets préhistoriques, comme dans tous les pays du monde ! »

    Ibrahim Mamane, conservateur du Musée national du Niger, en sait quelque chose. En 2004, quelque 9000 spécimens archéologiques en provenance du Niger ont été saisis dans dix valises à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. « Vous imaginez l’importance du trafic, dit-il. Ils ont saisi 9000 pièces alors que la réserve du Musée national était de seulement 5000 ! »

    La prise était belle, en effet. Plus de 800 kilogrammes d’artefacts de toutes sortes, allant du paléolithique finissant au début du néolithique, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années. Il s’agissait essentiellement d’outils préhistoriques en pierre, d’ossements de dinosaures, d’objets ethnographiques divers, bref un mélange d’instruments choisis et attirants sur le plan esthétique. Et ce n’est probablement que la pointe de l’iceberg, tant il est vrai que policiers, gendarmes et douaniers ignorent pour la plupart l’importance du patrimoine archéologique national. « Les douaniers contrôlent les immigrants clandestins, les armes, les explosifs et la drogue mais pas les artefacts, explique Ibrahim Mamane. Lorsqu’ils mettent la main sur des spécimens archéologiques au cours de leurs recherches, ils n’y voient souvent que de vieilles pierres sans importance. »

    Même à l’aéroport international Diori Hamani de Niamey, on peut facilement trouver à acheter des spécimens datant de temps immémoriaux. « Quand vous êtes dans le hall, vous êtes effaré de voir tous ces objets archéologiques en vente libre, s’offusque le chef du département d’Art et d’Archéologie. Et pourtant, les textes de loi qui régissent ces objets en interdisent la vente. Ils ne sont pas appliqués, c’est tout. »

    On trouve à acheter des spécimens archéologiques dans tous les coins de la capitale. Dans certaines boutiques du Village artisanal du quartier Wadata, les rares touristes peuvent choisir dans des paniers regorgeant de pointes de flèche celle qui les intéresse le plus. « Je n’en revenais pas, dit un touriste québécois. Quand j’ai demandé le prix d’une pointe de flèche datant manifestement d’au moins 10 000 ans, le vendeur m’a demandé 500 F CFA. En négociant un peu, je l’ai eue pour 100 Francs. J’en ai finalement acheté deux ! »

    Certains collectionneurs et antiquaires – nationaux et internationaux – y trouvent largement leur compte. « Un jour que je naviguais sur Internet, j’ai été très surpris de constater que des objets archéologiques en provenance du Niger étaient proposés à la vente et que même les prix étaient affichés, raconte Oumarou Amadou Idé. C’est dire que ces objets sont commercialisés sur le marché international et qu’il y a un public intéressé à payer le prix fort. Ils sont d’ailleurs présents ici. Aux alentours du Petit marché par exemple, quand on passe, ils nous narguent souvent parce qu’ils savent qu’on ne peut rien faire contre eux. »

    « Le problème, c’est que nous n’avons aucune compétence ou prérogative pour faire appliquer la loi, ajoute Oumarou Amadou Idé. Je rappelle donc à l’opinion nationale et internationale qu’un objet archéologique appartient à un patrimoine national, il appartient à tous les citoyens et nul n’a le droit de s’en prévaloir à son profit personnel, de se l’approprier. »

    Le chef du département d’Art et d’Archéologie dit comprendre le paysan qui, trouvant un tel objet dans son champ, cherche à le monnayer. « Au lieu de trouver un objet archéologique et de le cacher pour aller le vendre, il vaut mieux le montrer aux services compétents et leur demander ce qu’il y a lieu de faire, conseille-t-il. Nous comprenons nos paysans qui ramassent ces objets et qui viennent nous voir en se grattant l’arrière de la tête pour qu’on leur donne un cadeau. Mais les institutions sont ce qu’elles sont puisqu’il n’y a pas de mécanisme pour les dédommager. C’est vraiment un effort de patriotisme et de nationalisme qu’on demande à chacun ! »


    Mayaki Saïdou et Daouda Hassane
    Le Sahel

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