• Djibo Badjé, dernier grand griot historien zarma du Niger

    à (ré)écouter sur RFI :

     

     
    Djibo Badjé, dit Dialba, est le plus grand griot historien zarma
    encore vivant. Il aura bientôt 75 ans.
    © Gustave Deghilage
     
     
    Par Amélie Tulet « Quand on n’emprunte pas un chemin, le chemin disparaît ». Djibo Badjé sait depuis des années que son savoir est menacé. Il est le dernier à connaître toutes les généalogies des grandes familles zarma du Niger, le dernier à pouvoir raconter l’histoire de ses ancêtres. Aucun de ses fils ne prendra sa suite. Pour sauver ce patrimoine oral, il l’a confié à une ethnologue suisse, Sandra Bornand, avec qui il travaille depuis 1994. Retrouvez Djibo Badjé dans le Grand reportage diffusé ce 20 mars

    Djibo Badjé, de l’avis de tous à Niamey, est le plus grand « jasare » zarma encore vivant. Chez les Zarma, ethnie présente dans l’ouest du Niger, le mot « jasare » désigne le griot historien et généalogiste. C'est le plus prestigieux des griots, le maître de la parole, respecté et craint. C’est la mémoire du peuple zarma.

    La mémoire du peuple zarma

    Dans cette société, la fonction de jasare se transmet de père en fils et les familles de jasare sont liées aux familles nobles dont ils connaissent l’histoire et la généalogie.

    Djibo Badjé dit Djéliba (« le grand griot ») ou Dialba n’est jamais allé à l’école. Dès l'âge de sept ans, il a dû mémoriser une quantité colossale d’informations. Soir après soir, autour du doudal (le feu), son père Badjé Bannya lui a appris les généalogies des chefferies traditionnelles (près de 300 lignages), les récits des guerriers zarma et enfin, la maîtrise du moolo, un luth à trois cordes, instrument réservé aux jasare.

    Jeune homme, Dialba a parcouru le pays zarma et songhay pour parfaire son apprentissage. Toute sa vie, il a continué à mémoriser de nouvelles filiations au fil des naissances et des mariages.

    Traditionnellement, le jasare vit uniquement de son savoir et de sa parole. Il est convié aux cérémonies pour rappeler à tous d’où vient celui qui est à l’honneur, pour faire ses louanges et lui rappeler ses obligations. En retour, le chef ou ses proches lui donnent de l’argent car il source de légitimité, de fierté, mais aussi d’enseignements.

    La parole menacée

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    Dialba n’a pas d’héritier. Il a eu quatre femmes et près de trente enfants, mais tous sont allés à l’école moderne. Aucun n’a eu le temps de suivre l’apprentissage oral traditionnel jusqu’au bout. Voyant sa fonction menacée de disparition, Dialba décide de sauvegarder son savoir.

    En 1994, il rencontre Sandra Bornand, une jeune étudiante suisse venue passer un mois à Niamey. Le hasard fait qu’elle est accueillie dans la famille du chef de Liboré, dont Dialba est le griot.

    Lors de cette première rencontre, Dialba explique à Sandra la fonction du jasare et lui fait enregistrer un premier récit. Voyant la jeune fille motivée, il lui propose de continuer à travailler avec lui à condition qu’elle revienne. Six mois plus tard, Sandra est de retour.

    Depuis, Sandra est devenue ethnolinguiste au Laboratoire Langages, langues et cultures d’Afrique noire (LLACAN) du CNRS à Paris. Avec Dialba, elle a compilé au fil de ses séjours plus de 500 heures d’enregistrements.

    L’impact de la colonisation

    Pour expliquer la disparition progressive de la tradition orale zarma, Sandra Bornand avance trois facteurs : la colonisation, l’occidentalisation et la radicalisation de l’islam.

    Quand les colons français sont arrivés au Niger, ils ont imposé leur système éducatif, basé sur l’écriture et ont dévalorisé la transmission orale, jugée inférieure. Ils ont instauré des impôts très lourds et les familles nobles n’ont plus eu les moyens de prendre en charge les jasare. Ceux-ci ont donc commencé à travailler aux champs ou à se tourner vers le commerce et peu à peu l’activité de griot est devenue secondaire.

    Ensuite, à travers la radio, la télévision et internet, les jeunes Nigériens ont progressivement découvert d’autres modèles. Suivre la même voie que son père n’est plus une évidence. Et lors des fêtes, certains préfèrent écouter de la musique moderne plutôt que les récits d’un vieux griot.

    Un islam plus radical

    A cela, selon Sandra Bornand, il faut ajouter l’arrivée récente d’un islam plus rigoriste. Selon certains marabouts, louer une autre personne que Dieu est un péché, tout comme l’exagération dans les récits est associée au mensonge. Certains jasare ont abandonné les épopées des anciens et ne déclament plus que les généalogies.

    Qu’adviendra-t-il des enregistrements de Dialba et Sandra ? Sandra Bornand souhaite qu’ils soient remis au Niger comme des archives nationales, mais Dialba craint qu’ils ne soient exploités à des fins commerciales. Une copie de tous les enregistrements sera remise au chef de canton de Liboré en attendant de trouver une solution avec les autorités.

    Dialba a bientôt 75 ans. Sa santé décline. Il a perdu l’usage d’un œil et ne peut plus s’accompagner au luth. Mais il ne se dit plus angoissé à l’idée que son savoir disparaisse car il a laissé une trace grâce à Sandra. En revanche, il aime rappeler qu’il n’a pas tout dit à son amie européenne. Et qu’il reste des secrets zarma qu’il emportera avec lui dans la terre.

     
     
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