• DÉMOCRAPOLI : un jeu nigérien pour apprendre la démocratie

    Lorsqu’on demande à Elhadj Ibrahim Issiaka, concepteur de Démocrapoli – un jeu de société à saveur pédagogique – ce qu’en pense la classe politique nigérienne, la réponse fuse, directe : « Beaucoup n’aiment pas ce jeu, affirme-t-il sans ambages. Cela fait leur affaire que les gens ne comprennent pas le processus électoral. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai inventé ce jeu, qui permet aux citoyens ordinaires d’apprendre tout en s’amusant. »
    Apprendre en s’amusant, c’est justement ce que font depuis quelques semaines des centaines, voire des milliers, de jeunes garçons et filles de quelque 100 fadas de la commune 1 de Niamey. « C’est un jeu qui reflète la réalité des élections, dit Souleymane Maazou, un étudiant dans la vieille vingtaine qui participe régulièrement aux séances de jeu organisées au Centre des jeunes Djibo Koubou de Yantala, un quartier de Niamey. Notre pays fait partie du tiers monde, où les gens suivent la vie politique de très loin. Maintenant qu’on a compris l’intérêt du processus électoral grâce à ce jeu, chacun voudrait que les élections arrivent le plus vite possible. »

    En attendant, les jeunes des fadas s’en donnent à coeur joie. Pour Nadiatou Adamou, 25 ans, l’expérience acquise avec Democrapoli est incommensurable. « C’est difficile de comprendre le jeu au début car il y a beaucoup d’éléments à considérer, dit la jeune handicapée, qui se déplace en vélo adapté. Mais celui qui est intéressé finira par le saisir rapidement. Cette formation vient à point nommé car ce jeu nous fait comprendre véritablement le processus démocratique, souvent ignoré par les illettrés. »

    Du baume aux oreilles d’Ibrahim Issiaka, qui a conçu le jeu en 1996 et qui se dit inquiet du déficit démocratique au Niger. « Le jeu a été conçu dans le but de combler un vide, explique-t-il. Le jeu a un aspect d’éducation civique. Il permet à l’homme de la rue de se retrouver en connaissant ses droits et ses devoirs. Il faut éviter un perpétuel retour en arrière pour notre pays. Pour cela, il faut mettre la jeunesse sur le chemin de la démocratie dès le bas âge. Ce jeu contribue à changer les mentalités et à éclairer les consciences. »

    Jusqu’ici, Ibrahim Issiaka a conçu deux volets de son Démocrapoli : l’un, basé sur un pays imaginaire, pour les jeunes de 9 à 17 ans et l’autre basé spécifiquement sur le Niger. Il rêve d’exporter son produit dans d’autres pays. Déjà, il travaille à adapter son jeu aux réalités propres du Mali, du Burkina, du Sénégal et du Nigeria. Une version spécialement conçue pour la France et les Pays-Bas est même en cours d’élaboration. « Certains s’étonnent qu’un Nigérien ait conçu un tel jeu, dit-il, en levant les yeux au ciel. D’autres pensent que ça vient de l’étranger et que c’est un complot des Blancs. On a même tenté de m’enlever la paternité du jeu et de me voler mes droits d’auteur. »

    Transposition de la réalité dans un simple jeu de société, Démocrapoli prend pour canevas les élections présidentielles et locales pour l’instant. Il importe que chaque joueur – un électeur dans la vraie vie – surveille et décèle les tentatives de fraude, connaisse le rôle des députés, comprenne le fonctionnement des diverses instances (justice, cour constitutionnelle, etc.). Ce qui ne va pas toujours de soi, même parmi des jeunes avides de démocratie mais qui ne peuvent s’empêcher, dans le feu de l’action et des jeux de rôles, d’avoir des réflexes autocratiques, sinon carrément dictatoriaux. « Un jeune qui avait été élu président ne voulait pas quitter le pouvoir à la fin de son mandat, raconte, sourire aux lèvres, le concepteur. Il prétendait imposer son tazartché à lui… Un autre, dont le parti venait de perdre les élections, a rempli d’air un sachet de plastique et l’a fait péter bruyamment en criant au coup d’État ! Vous voyez, le jeu ressemble à la réalité. »

    Le jeu peut être joué à deux, trois, vingt ou vingt-cinq participants, mais il y a plus d’ambiance quand on joue à vingt-cinq. Comme dans la réalité, toutes les circonscriptions sont représentées auprès de la Commission électorale nationale indépendante, la cour constitutionnelle et les forces de l’ordre. Dans le cas des élections présidentielles, une mallette contenant les badges, les fichiers électoraux et les bulletins de vote sert pendant le premier tour, qui est de 30 minutes, et le deuxième tour, qui dure 15 minutes. 200 mallettes ont été commandées pour les 100 fadas retenues pour la formation dans la seule commune de Niamey I. « Nous avons sillonné les fadas pendant deux semaines afin de sélectionner les plus sérieuses, explique Madame Mamane Lawan Saratou Lamine, directrice du Centre des jeunes Yantala. On a constaté que dans les fadas, on trouvait quasiment toutes les tendances politiques et que la majorité des jeunes membres des fadas ne travaillent pas. L’histoire montre pourtant que la jeunesse est le fer de lance du développement. Le jeu vient à point nommé, le moment est propice car nous nous acheminons vers une période d’élections. »

    Pour Sarmey Halima, éducatrice de formation avec 29 ans d’expérience dans l’éducation des adultes, Démocrapoli a le grand mérite de faire comprendre à tous la mécanique du processus démocratique. « Les chiffres utilisés dans le jeu sont les statistiques réelles issues du dernier recensement général de la population, affirme-t-elle. A la fin, notre Cour constitutionnelle valide les élections comme cela se passe dans la réalité. Parfois, le président élu ne veut plus quitter le pouvoir, d’autres menacent d’utiliser la violence…. En cas d’agression, on est disqualifié et on perd automatiquement les élections. »

    Soumana Amadou Soumaï est l’un de ces jeunes présidents tout juste élus sur un coup de dés. Pour lui, pas question de s’éterniser au pouvoir. « J’ai appris plein de choses intéressantes que j’ignorais sur la démocratie et le processus électoral, dit-il. J’ai hâte de retourner dans ma fada afin de restituer aux autres ce que j’ai appris avec Démocrapoli. »

    Source : Les Echos du Sahel 

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