• Crise alimentaire au Niger

    Eleveurs et bétail en détresse

    photo eleveur

    Près de trois longs mois après le cri de détresse lancé à l’intention de la communauté internationale par le président du Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie (CSRD), environ 8 millions de nigériens demeurent encore dans l’expectative. La moisson humanitaire reste très dérisoire. Si rien n’est fait dans les prochaines semaines, la situation pourrait devenir beaucoup plus critique pour nombre d’agriculteurs et éleveurs nigériens.

    Selon Hassan Saley, coordonnateur de la cellule d’information et de la communication (CIC), un service commun pour le gouvernement et ses partenaires, « se tablant sur les résultats de l’enquête rapide diligentée par ses services, le gouvernement a élaboré, courant janvier dernier, un plan national pour soutenir près de 60% des nigériens exposés à l’insécurité alimentaire ». Certes dira-t-il, une autre enquête a été réalisée courant février dernier pour réactualiser les données statistiques en la matière. Mais les résultats sont en traitement au niveau de l’Institut national de statistique. C’est dire que le gouvernement n’a visiblement pas encore la maîtrise de l’ampleur de la crise.

    Le coût global du plan de soutien aux populations vulnérables est estimé à plus de 104 milliards de nos francs pour soutenir les 211 zones durement affectées par la crise alimentaire. Or , au stade actuel, l’aide internationale tarde à voler au secours de plus de la moitié des nigériens qui peinent à se garantir un ou deux repas par jour ; car malgré l’appel solennel à l’aide d’urgence aux populations nigériennes vulnérables lancé par le président de CSRD, le 28 Février dernier suivi d’une requête de financement pour soutenir ces populations adressée aux partenaires techniques et financiers à l’occasion de la réunion de la Commission Mixte de Concertation Etat – Donateurs, haute instance de décision qui regroupe le Premier Ministre, les ambassadeurs et les responsables des institutions internationales, la moisson est très largement en deçà des attentes : environ 30% des besoins exprimés jusque-là. En attendant, selon le coordonnateur de CIC, le gouvernement n’est pas resté les bras croisés.

    En effet, « au titre d’argent contre travail et transfert d’argent, une somme de 6,5 milliards de francs CFA est en cours de distribution dans les zones vulnérables ». Quant au volet vente à prix modérés, 60.000 tonnes de céréales prélevées sur les stocks et fonds gouvernementaux ont été mises en place dans les 211 zones vulnérables. A ce sujet les ONGS locales dont Association pour la Redynamisation de l’élevage au Niger (AREN) et Timidria mettent en œuvre au profit des éleveurs des ventes à prix modérés de céréales d’un tonnage équivalent à 1120 tonnes.

    A partir du 15 Mai dernier, le gouvernement, conjointement avec le Programme Alimentaire Mondiale (PAM), a également procédé, au titre de la première phase, à la distribution gratuite de quelques 21000 tonnes en faveur des ménages en insécurité alimentaire sévère qui sont évalués à environ 1,5 millions d’individus. Or, rien qu’à s’en tenir aux résultats de l’enquête de décembre dernier, on note déjà que ce sont plus de 2.663.538 personnes qui souffrent d’une vulnérabilité alimentaire sévère. C’est dire que la première phase de cette opération de distribution gratuite écarte systématiquement plus de 56% des personnes reconnues en insécurité alimentaire sévère, sans compter environ 3millions d’autres personnes reconnues depuis décembre déjà en situation d’insécurité alimentaire modérée. C’est dans ce contexte de nette déphasage entre les besoins douloureusement grandissants des populations et les très insuffisantes ressources mobilisées à cet effet (moins de 30% des prévisions) que le porte parole du Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie, le colonel Abdoul Karim Goukoye tente de rassurer : « Notre objectif c’est d’arriver le plus qu’il nous sera possible, d’enrayer ce phénomène de faim qui est maintenant devenu un phénomène récurrent au Niger ».

    En ce qui concerne le volet pastoral, « la situation est d’une gravité jamais égalée ces dix dernières années », selon Harouna Abarchi, responsable des questions pastorales et environnementales au niveau de l’AREN. Alors que, suivant les chiffres officiels, le déficit fourrager est estimé à plus de 16 millions de tonnes de matières sèches, soit 66,8% des besoins de cheptel national ; le gouvernement, sans rien prévoir sur fonds propres, n’a malheureusement demandé aux partenaires qu’un insignifiant appui de 10.000 tonnes, pour, dit-il, sauver les vaches laitières. Ce qui dénote d’un manque de volonté gouvernementale à s’occuper sérieusement de ce volet non moins important de la crise : le secteur pastoral.

    Le Fonds des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) s’est engagé à fournir presque la totalité de ce qui a été demandé par le gouvernement. Là aussi on enregistre un retard dans la livraison de ces aliments pour bétail. Car, au stade actuel, « la région de Diffa est le seul endroit qui a bénéficié de près de la moitié de ce qui devait lui être fournie, soit un peu plus de 600 tonnes d’aliments bétail sur les 1200 tonnes prévues ». A ce niveau, il convient de relever que, contrairement à l’engagement de l’Etat pris devant les partenaires, pour un souci de transparence et d’efficacité, d’associer les organisations de la société civile dans la distribution des aliments pour bétail, « nous nous sommes vu systématiquement écartés sur le terrain » dénonce Harouna Abarchi.

    Les régions de Tahoua et Tillabéry, elles, n’ont pas encore bénéficié même d’un brin, déplore-t-il. Au niveau de la région de Tahoua, le problème est lié au désistement de deux premiers fournisseurs qui, du fait d’une sous évaluation du coût des prestations, juste pour disqualifier les concurrents, se sont vus dans l’incapacité de remplir leurs engagements. Quant aux bonnes volontés qui se manifestent cahin-caha pour venir en aide aux populations affectées par la crise, on constate qu’elles se focalisent beaucoup plus sur l’aide à l’alimentation humaine au détriment du secteur pastoral, fait-il remarquer. Conséquences : aujourd’hui, nombre des gros ruminants, particulièrement les vaches, éprouvent de réelles difficultés à se tenir sur leurs pattes sans l’aide de leur propriétaire. Globalement, on note que la dégradation pitoyable de l’embonpoint des animaux entraîne la dégringolade des valeurs marchandes de ces derniers qui, pour la plupart se vendent à plus de trois fois moins que l’année passée à la même période. Pour illustrer, Harouna Abarchi témoigne « je reviens récemment d’une mission dans le Nord Filingué et dans la région de Tahoua où j’ai vu des taureaux qui pouvaient se vendre à 150.000F, l’année passée, à la même période, se vendre difficilement à 50.000F aujourd’hui ».

    Cette faiblesse physique du bétail, du fait de l’absence de pâturage, constitue également une porte ouverte pour plusieurs autres maladies pouvant aggraver, si rien n’est fait dans les semaines à venir, les risques d’une perte massive du cheptel. De l’autre coté « la vie des éleveurs, particulièrement les femmes et les enfants, est intimement liée au sort du bétail. Rien que la perte de l’embonpoint entraîne directement l’amenuisement de production de lait, principale source d’alimentation des éleveurs », relève Harouna Abarchi.

    De l’avis des spécialistes, « cette crise alimentaire cyclique n’est pas conjoncturelle ; elle est essentiellement structurelle. Elle pointe du doigt l’insuffisance des investissements dans l’agriculture nationale ». C’est pourquoi, indique le Pr Alhousseini Bretaudeau, secrétaire exécutif du Comité inter Etats de lutte contre la sècheresse dans le sahel (CILSS) dans une interview accordée au quotidien burkinabé, Le Pays : « nous sommes convaincus qu’il faut commencer par lutter contre les causes profondes de la sous-alimentation chronique et de la crise alimentaire, qui sont les exclusions politiques, sociales et économiques et les discriminations. » Pour cela, ajoute-t-il, « il faut garantir aux populations rurales les plus démunies un accès équitable aux ressources productives (la terre, l’eau, les semences principalement, mais aussi la pêche et les forêts), et aux populations pauvres des villes l’accès à un revenu suffisant ou à des prestations sociales. Mais ce n’est pas suffisant ; car quels que soient les moyens mis en œuvre, ils seront inefficaces s’ils ne comprennent pas la mise en place d’une meilleure gouvernance, à la fois au niveau international, national et local, basée sur des institutions ayant pour mandat de réaliser le droit à l’alimentation ».

    Diori Ibrahim

    Source : Média Niger

    Posté par Boubacar Chaïbou le 5/26/10 • Dans la catégorie Alternative

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