• Au Niger, 7 millions de personnes souffrent de la faim

    LEMONDE | 23.07.10 | 15h48  •  Mis à jour le 23.07.10 | 15h49

    Les femmes nigériennes ont une expression terrible pour qualifier la catastrophe qui frappe une nouvelle fois leur terre asséchée : elles l'appellent "Ba Kanta" : crise sans issue. Au Niger, pays au coeur de la bande sahélienne de l'Afrique, encore marqué par la grande famine de 2005, la situation alimentaire n'a cessé de s'aggraver depuis le début de l'année, suscitant des inquiétudes croissantes.

    Plus de 7 millions d'habitants, presque la moitié de la population, sont menacés par la faim. La malnutrition est particulièrement alarmante chez les enfants en bas âge : selon un récent sondage gouvernemental, le taux de malnutrition aiguë est passé entre 2009 et 2010, de 12,3 % à 16,7 % chez les moins de cinq ans. Or, pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à 15 % le seuil d'urgence est atteint.

    Le programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) a annoncé, mardi 20 juillet, une augmentation massive de ses opérations d'assistance dans le pays. Début juillet, le PAM avait déjà doublé le nombre de Nigériens (de 2,3 millions à 4,6) à qui il prévoyait de fournir une aide alimentaire vitale en 2010. Désormais, il projette de nourrir 7,9 millions de personnes d'ici à la fin de l'année.

    "Nous entamons une course contre la montre pour augmenter l'envergure de nos opérations aussi rapidement que se propage la faim", déclarait, mardi, Josette Sheeran, la directrice exécutive du PAM, lors de son arrivée au Niger. "Le pays n'en est pas encore au stade de la famine, mais si on n'agit pas vite, on y va tout droit", appuie Fatouma Seid, responsable des interventions d'urgence de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), en Afrique de l'Ouest.

    Fin 2009, les pluies insuffisantes et erratiques ont amputé la campagne agropastorale, avec une baisse de 30 % de la production céréalière et de près de 70 % de la récolte fourragère destinée aux cheptels. Une perte qui a aggravé la situation déjà difficile provoquée par la hausse constante des prix des denrées alimentaires, lesquels demeurent obstinément élevés.

    Depuis des mois, nombre de paysans sont déjà entrés en "période de soudure", ce laps de temps entre l'épuisement des réserves et la nouvelle récolte, et qui s'étend normalement d'avril-mai à septembre-octobre. "Cette période est d'autant plus difficile cette année, qu'elle a commencée dès février pour beaucoup de familles", souligne Anne Boher représentante de l'Unicef au Niger.

    La population en est réduite à adopter des stratégies de survie. Le nombre de repas quotidiens est rationné, de trois il passe à un. Certains ont recours à la cueillette de plantes sauvages. Les familles s'endettent, vendent leurs quelques têtes de bétail afin de pouvoir se nourrir. "Le bétail, c'est tout leur capital, insiste Jean-Denis Crola de l'ONG Oxfam, or, celui-ci a perdu de sa valeur en raison de son état". Une vache qui valait encore en janvier 150 000 francs CFA (230 euros) n'en vaut plus que 5 000. Aussi, cette année, des familles entières - et pas seulement des hommes comme cela arrive habituellement lors de la saison sèche - ont gagné les zones urbaines dans l'espoir d'y gagner un peu d'argent pour acheter de la nourriture.

    "La nourriture est disponible sur les marchés locaux mais à des prix très élevés. Il faut pouvoir y avoir accès", relève Anne Boher. Au-delà de la distribution de vivres, l'aide internationale met l'accent sur les activités dites de "travail contre argent" afin de remettre en état les pâturages et mener des travaux de lutte contre l'érosion.

    La priorité de la FAO est aussi de livrer des semences et des engrais aux agriculteurs pour la campagne de semis en cours, et d'acheminer du fourrage pour les animaux. "Il est essentiel de protéger les sources de revenus. Là où la nourriture existe, il faut faire vivre l'économie", souligne Jean-Denis Crola. Et Fatouma Seid d'insister : "Si l'on veut éviter les crises à répétition, il faut, au-delà de la distribution de vivres en nature, apporter une aide plus structurelle."

    Autre enseignement tiré de la crise de 2005 : la nécessité de faire de la prévention en matière de malnutrition infantile. "Il est très important de prendre en charge les enfants dénutris tant qu'ils sont encore à un stade modéré afin d'éviter qu'ils ne basculent dans la malnutrition sévère", insiste Michel-Olivier Lacharité, responsable des programmes de Médecins sans frontières (MSF) au Niger. Le PAM complète donc les apports nutritionnels distribués par des rations normales auprès des familles, afin que les produits destinés aux enfants ne soient pas partagés avec les adultes.

    "Une des grandes différences par rapport à 2005, relève Marie-Pierre Allié, présidente de la section française de MSF, est la reconnaissance politique de la crise par le gouvernement nigérien". De fait, alors que le régime du président Mamadou Tandja, tombé le 18 février, tentait de minimiser l'ampleur de la crise, la nouvelle junte militaire a fait de la lutte contre les risques de famine, une priorité. Dès le mois de mars, elle développait des actions de distribution gratuite de vivres et de vente à bas prix de céréales, tout en lançant un appel aux bailleurs internationaux. "Cette attitude a favorisé une meilleure coordination entre gouvernement, organismes internationaux et ONG, dans la réponse apportée", insistent Michel-Olivier Lacharité et Mme Seid.

    Reste que les financements demeurent insuffisants. Il manque 206 millions de dollars (160 millions d'euros) sur les 348 millions nécessaires selon l'appel lancé début juillet par les Nations unies. Or, il y a urgence. "La saison des pluies arrive. Il est donc essentiel que les gens aient les moyens de relancer leur production pour réduire leur vulnérabilité et éviter que ne se reproduise le cercle vicieux de la crise", insiste Patricia Hoorelbeka, responsable d'Action contre la faim, en Afrique de l'Ouest. "Plus on attend, plus la crise s'aggrave et plus cela coûtera cher en termes d'aide d'urgence...", confirme Mme Seid, de la FAO.

    Laetitia Van Eeckhout

    Article paru dans l'édition du 24.07.10

    Dix millions de personnes sont aujourd'hui concernées par l'insécurité alimentaire dans la bande sahélienne de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale.

    Si le coeur de la crise se trouve au Niger, où 7 millions de personnes sont menacées par la faim, la situation n'est pas moins alarmante au Tchad, pays voisin, où 2 millions d'habitants sont aussi confrontés au spectre de la famine. Le Programme alimentaire mondial y a distribué des vivres à près de 850 000 personnes, multipliant ses centres d'intervention (de 36 en mars à 140 d'ici à quelques semaines).

    Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), 600 000 personnes sont aussi touchées au Mali ; 370 000 en Mauritanie ; 465 000 au Burkina Faso, et quelques dizaines de milliers dans le nord du Nigeria.

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